De Sultan Shahin, Rédacteur-en-chef, New Age Islam
18 Mars, 2014
Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies
Vingt-cinquième session ordinaire (3 - 28 Mars 2014)
Point 4 : Sujets d'intérêt particulier pour le Conseil des Droits de l'Homme
Texte intégral de la déclaration orale de Sultan Shahin, Rédacteur-en-chef, New Age Islam
Monsieur le Président,
Les nations d'Asie Centrale et d'Asie du Sud sont profondément préoccupées par la forme que vont prendre les choses après le retrait de l'OTAN de l'Afghanistan et le retour des terroristes islamistes du théâtre syrien vers les Etats Unis, l'Europe et le reste du monde. La recrudescence du jihadisme taliban en Afghanistan et Pakistan pourrait aussi signifier davantage de terreur en Inde et au Bangladesh.
Comme l'expérience l'a montré, Monsieur le Président, la guerre contre le terrorisme ne peut pas être menée uniquement à l'aide de moyens militaires. Cette guerre a une dimension tout autant idéologique que militaire. Le récit exclusiviste, politique, totalitaire, jihadiste de l'Islam doit être contesté et la tendance majoritaire de narration de l'Islam comme un chemin spirituel et englobant vers le salut, doit être vigoureusement promue. Parmi les gouvernements occidentaux, seule la Grande-Bretagne a démontré une prise de conscience de la nature idéologique de cette guerre et a manifesté une volonté d'aider les musulmans à la combattre idéologiquement. Mais la réponse des musulmans britanniques a été décevante.
Les musulmans à travers le monde continuent d'être dans le déni. Pas le moindre signe d'introspection.
Les musulmans britanniques trouvent le rapport du groupe de travail du premier ministre sur la lutte contre la radicalisation et l'extrémisme problématique. Les actions en résultant ont aussi provoqué la consternation. Mais il n'y a aucune indication comme quoi les musulmans eux-mêmes envisagent de faire quelque chose pour lutter contre cette menace. Nous, musulmans, devons comprendre et accepter que c'est principalement une guerre à l'intérieur de l'Islam et c'est à nous de la combattre.
Les Talibans ont déjà commencé à fléchir leurs muscles. Au Pakistan, le mois dernier, ils ont forcé le gouvernement à entamer des négociations. Tout en exigeant la mise en œuvre de la Charia, ils ont égorgé 23 soldats capturés de l'armée pakistanaise. Comme le Ministre de l'Information pakistanais l'a souligné, 90.000 soldats ont été faits prisonniers durant la guerre de 1971 contre l'Inde, mais aucun d'entre eux n'ont perdu leurs tête. ll se demande aussi quelle sorte de loi de la Charia les Talibans pakistanais veulent voir imposée pour permettre d'égorger les soldats de leur propre pays.
Il est clair que la communauté internationale doit chercher activement à répondre à la menace du jihadisme et à son interprétation fausse de l'Islam.
Monsieur le Président,
Réfléchissons à présent à certains des problèmes mentionnés de manière détaillée ci-dessus. Tout d'abord, je trouve gratifiant qu'au moins un gouvernement en Occident ait découvert que cette guerre ne peut pas être combattue qu'avec des balles et des bombes. Le récent rapport de la Task Force du Premier Ministre britannique sur la lutte contre la radicalisation et l'extrémisme trouve «aussi nécessaire de définir l'idéologie de l'extrémisme islamiste» et poursuit en disant dans son paragraphe 1.4 :
« Il s'agit d'une idéologie distincte qui ne doit pas être confondue avec la pratique religieuse traditionnelle. C'est une idéologie qui se fonde sur une interprétation déformée de l'Islam, qui trahit les principes pacifiques de l'Islam, et s'appuie sur les enseignements tels que ceux de Sayyid Qutb. Les extrémistes islamistes jugent l'intervention occidentale dans les pays à majorité musulmane comme une «guerre contre l'Islam», créant un récit de «eux» contre «nous». Ils cherchent à imposer un Etat islamique mondial régi par leur interprétation de la Charia comme loi de l'Etat, rejetant des valeurs libérales comme la démocratie, la primauté du droit et l'égalité. Leur idéologie comprend également la croyance sans compromis que les gens ne peuvent pas être à la fois musulmans et britanniques, et insiste sur le fait que ceux qui ne sont pas d'accord avec eux ne sont pas de vrais musulmans ».
J'espère qu'ils prennent également conscience que les pères de l'extrémisme moderne, Sayyid Qutub en Egypte et Maulana Abul Ala Maudoodi dans le sous-continent indien, sont issus et fortement influencés par une idéologie qui prône que l'Empire britannique a joué un rôle important de contrainte dans la communauté musulmane. Cette idéologie a renforcé l'idéologie wahhabite radicale de son enfance et lui a fourni les moyens de détruire, trahissant même en cours de route son alliance formelle avec le Khilafat hachémite de Sheriff de la Mecque, qui était d'inclination mystique et paisible. Puis à nouveau en Occident, cette idéologie a été dirigée, soutenue et encouragée par les Etats-Unis qui ont en effet dépensé beaucoup d'argent dans la promotion de la guerre froide pendant les dernières années.
On aurait pu penser qu'il serait difficile pour les jihadistes de survivre dans le monde après le 11 Septembre. Au lieu de cela, la situation après le 11 Septembre semble avoir créé davantage de marécages pour les jihadistes pour faire des ravages, planifier de nouvelles destructions dans différentes parties du monde. Après avoir réfléchi sur les erreurs du passé, l'Occident se rend mieux compte que la première chose à faire dans la lutte contre le jihadisme est d'arrêter immédiatement de soutenir et de protéger la source de l'idéologie islamiste radicale en Arabie Saoudite ou tout au moins de limiter l'exportation massive de cette version radicale de l'Islam aux quatres coins du monde. Après tout, 16 des 19 terroristes impliqués dans les attentats du 11 Septembre étaient saoudiens, nourris par le programme scolaire saoudien et les autres scolarisés également avec la version saoudienne de l'Islam.
Le rapport du Royaume-Uni considère que s'attaquer à l'extrémisme doit résulter d'un effort commun. C'est ce qui est indiqué dans le paragraphe 1.5 :
« Nous nous félicitons de la condamnation spontanée et sans équivoque initiée par des organisations de la communauté musulmane ainisi que d'autres groupes religieux en réponse à l'attaque de Woolwich. Le gouvernement de même que les organisations et les communautés au Royaume-Uni, doivent prendre leurs responsabilités. Nous avons été trop réticents à mettre à l'épreuve les idéologies islamistes extrémistes dans le passé, pensant à tort que d'attaquer l'extrémisme islamiste équivaut à une attaque contre l'Islam lui-même. Cette réticence, et l'incapacité d'affronter les extrémistes, a généré un environnement propice à la radicalisation dans certaines mosquées et dans des centres islamiques, des universités et des prisons. Beaucoup d'établissements n'ont pas la capacité de pleinement lutter contre les extrémistes même quand ils le veulent. Le gouvernement doit relever ce défi, faire en sorte que les communautés exploitées par les extrémistes, et les organisations qui travaillent contre les extrémistes, aient la capacité de leur faire face ».
Le rapport dit au sujet de la lutte contre les récits extrémistes et l'idéologie :
« La propagande extrémiste est trop largement disponible, en particulier en ligne, et a un impact direct sur la radicalisation des individus. Les messages toxiques des extrémistes ne doivent pas être autorisés à étouffer les voix de la majorité modérée ».
Après cette généralisation il va dans le détail et affirme dans le paragraphe 3.1 :
« Le Groupe de travail a convenu de :
1. renforcer les capacités des communautés et des organisations de la société civile afin qu'elles puissent faire campagne contre la grande quantité de matériel extrémiste, y compris en ligne,
2. travailler avec des entreprises internet pour restreindre l'accès aux documents terroristes en ligne qui sont hébergés à l'étranger, mais illégaux en vertu du droit du Royaume-Uni,
3. travailler avec l'industrie de l'internet pour l'aider dans ses efforts continus à améliorer le processus d'information du public du contenu extrémiste en ligne.
On aurait pu penser que les musulmans britanniques se réjouiraient de la détermination du gouvernement à les aider à affronter les diffamateurs qui présentent l'Islam comme une religion intolérante et xénophobe. On aurait pu penser qu'ils saisiraient cette occasion pour réfuter les idéologies jihadistes et présenter un récit modéré de l'Islam qui a coexisté avec d'autres communautés pendant des siècles. Même si l'extrémisme et les interprétations extrémistes de l'Islam ont presque toujours fait partie de l'histoire musulmane, la majorité a suivi une voie modérée et a toujours vaincu l'extrémisme de toutes les époques indépendamment de la forme et nomenclature qu'il a prise.
Mais aujourd'hui la tendance des musulmans est de rester largement silencieux sur la question, ils ne font aucun effort pour lutter contre l'extrémisme, et sont contents de blâmer l'extrémisme et le jihadisme en se fondant entièrement sur les échecs de la politique étrangère de l'Ouest, ce qui reflète simplement notre mentalité de victime et trahit une ignorance délibérée de l'histoire islamique et des réalités du terrain. Nous devons accepter qu'une tendance violente a toujours existé dans l'histoire islamique et c'est à nous de la traiter. Nous aurions été en mesure de comprendre, même jusqu'à aujourd'hui pourquoi Hazrat Ali ibn Abi Talib, le petit-fils du Prophète Muhammad et le quatrième calife bien guidé, et Hazrat Aisha, l'épouse vénérée du Prophète Muhammad (pssl) ont combattu la bataille de Jamal (Camel) le 7 Novembre, en 656, entraînant la mort d'au moins 5000 musulmans. Celle-ci a été suivie par la bataille de Siffin en 657 entre Hazrat Ali et et Mu'waiya ibn Abi Sufyan qui a finalement abouti à Banu Umayyad créant une dictature brutale au nom d'un califat dynastique. Mais peu de temps après la bataille de Siffin eut lieu la bataille de Nahrawan en 658 entre Hazrat Ali et ses anciens disciples devenus depuis lors les Kharijites, près de Nahrawan, à 19kms de Bagdad. Plus de cent mille musulmans sont morts dans ces guerres à un moment et dans une région où la population était clairsemée. Il semblerait que l'Islam ait combattu une guerre en son sein depuis toujours. Mais dans le même temps, notre tendance à rester dans le déni est phénoménale.
Monsieur le Président,
Nous, musulmans, pouvons critiquer les politiques occidentales et demander à la communauté internationale de ne pas poursuivre leur politique d'une manière qui conduit à la création de plus de remous dans lesquels les extrémistes et les terroristes musulmans se réfugient et génèrent davantage de problèmes pour la paix mondiale. Mais nous n'avons aucun contrôle sur ces politiques. Il faut donc se concentrer sur les aspects que nous pouvons faire nous-mêmes. L'état du monde musulman aujourd'hui est tel que partout où un groupe motivé, intéressé a besoin de terroristes voire de kamikazes, une armée se rend disponible. Les soldats de cette armée croient qu'ils vont au ciel en tuant d'autres musulmans innocents (la plupart du temps), même si par la même occasion, ils commettent le crime le plus odieux de se suicider.
Persuader quelqu'un de se suicider pour tuer ses compagnons fidèles dans une mosquée, ses coreligionnaires dans un sanctuaire soufi, ou ses concitoyens dans un lieu public, devrait être la tâche la plus difficile au monde. Comment se fait-il que c'est plus facile quand il s'agit de nous, musulmans ? Et pourquoi nous ne nous sentons pas même concernés en tant que communauté ? Comment se fait-il que la plupart du temps, nous restons des spectateurs passifs ?
Monsieur le Président,
Je voudrais demander à la communauté musulmane du monde représentée ici, à travers vous, de commencer à faire un travail d'untrospection de toute urgence. Plutôt que de se contenter de transférer la responsabilité sur les autres d'entretenir une quasi-guerre civile dans l'Islam dans différentes parties du monde, nous devrions faire une introspection et voir où nous allons mal et ce que nous pouvons faire pour nous corriger.
À mon avis, Monsieur le Président, nous devrions nous focaliser de toute urgence sur les préceptes de l'Islam que nous enseignons à nos enfants dans les écoles et les séminaires religieux appelés madrasas. Car ce sont les produits de ces madrasas qui vont devenir donneurs de Fatwas sur des questions dont ils se soucient, des dirigeants de prières dans nos mosquées, etc. et ainsi acquérir une influence considérable, notamment sur les musulmans peu ou mal éduqués.
Beaucoup de musulmans ne sont pas même conscients de ce qui est enseigné dans nos écoles et madrasas. J'espère que la sensibilisation sur ce nombre ouvrira les yeux et aussi expliquera pourquoi nous sommes là où nous en sommes aujourd'hui. Cela devrait inciter à une certaine introspection. Nous devons savoir que nos enfants sont nourris de littérature xénophobe au nom de l'Islam, ce qui les force à la haine et à traiter comme ennemis en parole et en action les musulmans qui ne croient pas en l'interprétation d'Ibn-e-Tamiya et d'Abdul Wahhab de l'Islam, et bien entendu, tous les non-musulmans, y compris l'ahl-kitab. Est-ce que des musulmans endoctrinés à la haine et à l'hostilité pour l' « Autre » dès le début de leur vie, ne peuvent pas se révéler comme une proie facile pour ceux qui cherchent à construire une armée terroriste? Est-ce une surprise alors, nous pouvons commencer à nous demander, après avoir étudié ces livres de façon encore plus détaillée que je ne peux le faire ici, qu'une armée de kamikazes soit disponible dans la communauté musulmane, où et quand on en a besoin ?
Comme les livres fournis par l'Arabie Saoudite sont largement disponibles partout dans le monde musulman, je voudrais citer ici quelques paragraphes d'une étude des manuels scolaires d'Arabie Saoudite faite par Eleanor Abdellah Doumato dans un livre intitulé « Enseigner l'Islam ». Je considère ce livre comme une lecture essentielle pour tous ceux qui s'intéressent au phénomène de propagation du jihadisme.
Le Professeur Abdellah Doumato commente ainsi : « A tous les niveaux, les livres affirment qu'il y a un Islam, que tous les musulmans sont unis dans une Umma (communauté des croyants), que l'Arabie Saoudite occupe une place particulière et sacrée dans le monde musulman, et que sa famille royale remplit les conditions requises de dirigeants musulmans légitimes. Les livres scolaires conditionnent les élèves à respecter l'autorité, à confondre les opinions avec les faits, et à observer les questions d'éthique sans avoir de nuance, comme si l'Islam était un organe unique et stagnant de connaissances avec des réponses évidentes et immuables à toutes les questions de la vie. Dans le même temps, le royaume, comme le reste du monde musulman, est ethniquement divers et divisé par des orientations sectaires. Bien qu'environ 10 pour cent de sa population soit chiite, l'Arabie Saoudite abrite également des musulmans sunnites dont les pratiques religieuses, comme le mysticisme soufi, les visites de sanctuaire, et la vénération des saints, sont condamnées sous le chapeau du polythéisme dans les manuels scolaires... Bien que les textes affirment l'authenticité des racines anciennes, ils épousent un Islam qui est une fusion moderne de wahhabisme artisanal, de salafisme des Frères Musulmans, avec un programme pan-islamique qui habite les textes en combinaison avec l'ordre du jour saoudien de renforcement de l'État ».
Le Professeur Abdellah Doumato conclut par l'examen « des livres de Fiqh (jurisprudence), des Hadith (anecdotes d'autorité sur la vie du Prophète), et de Tawhid (monothéisme islamique) pour les élèves de neuf à douze ans, qui ont été utilisés durant les années scolaires 2001/2002 et 2003/2004, et les textes Tawhid pour les niveaux élémentaires trois, cinq, six et les niveaux intermédiaires sept, huit, neuf utilisés durant l'année scolaire 2003/2004. En outre, les textes de 2003/2004 des cours intégrant la religion dans la matière ont été examinés : l'éducation civique des élèves des niveaux quatre à six et huit à douze et la vie du Prophète et l'histoire de l'État islamique pour le niveau dix. Les livres sur la religion des écoles secondaires incluent des versions produites à la fois par le Ministère de l'Éducation et la Présidence Générale pour les Filles ».
Après avoir proclamé qu'il n'y a qu'un seul Islam pour tous et qu'il n'y a pas de place pour d'autres interprétations, les manuels scolaires conduisent au message que la philosophie et la logique mènent au schisme, et sont donc particulièrement à éviter. Le Professeur Abdellah Doumato cite le paragraphe suivant du texte (10b,14) :
« [Q]uand certaines personnes ont construit leur croyance... sur la spéculation métaphysique [Iilmal Al-Kilam] et la logique systématique [Quwaa 'Ad Al-Mantiq) héritée de la philosophie grecque et romaine, elles ont donné lieu à des déviations et des divisions dans la foi, ce qui a entraîné des arguments et des divisions dans la communauté et des clivages dans la construction de la société islamique ».
« La déviation de la bonne foi », en effet, se définit comme une «catastrophe [Mahlikah] et la perdition [dayaa'1 ». (10b,15)
Abdella Doumato commente encore :
« Le message est que le débat intellectuel et le raisonnement individuel doivent être sacrifiés sur l'autel de l'harmonie inter-confessionnelle et l'unité politique. La leçon est littéralement une illustration parfaite de ce que Khaled Abou El Fadl décrit comme l'anti-intellectualisme de l' « orientation suprémaciste et puritaine » de l'Islam saoudien contemporain qui se retire dans le havre « sécurisant du texte », où il peut se dissocier en toute sécurité des enquêtes critiques historiques (El Fadl 2003). Le nom qu'il donne à cette orientation puritaine et suprémaciste est le « salafabisme », une combinaison des mots « salafiste » et « wahhabisme », la version Nadji d'origine locale de l'Islam que le manuel scolaire emploie pour localiser le véritable Islam en Arabie Saoudite et légitimer ses dirigeants actuels.
« Un chapitre, dans le manuel du 10ème niveau du Tawhid (édition non révisée), intitulé l ' « Appel [Da'wa] de Muhammad ibn Abd al-Wahhab », décrit l'ancêtre de l'Islam Najdi comme le redresseur historique des écarts dans la péninsule, établissant un parallèle entre al-Cheikh, ainsi connu en Arabie Saoudite, et le prophète Muhammad. La leçon explique que Muhammad ibn Abd al-Wahhab (ci-après MIAW) est venu comme une miséricorde de Dieu pour renouveler la religion de cette Umma, son appel pour le renouvellement coincidant avec un modèle établi : le Prophète Muhammad a été envoyé par Dieu pour raviver la foi qui avait été modifiée par des déviations et des innovations au fil du temps pour l'humanité. Bien que Muhammad soit le dernier prophète, Dieu produit de temps en temps des individus de l'Uléma pour raviver la lutte contre l'innovation, pour remédier à la croyance et protéger la Charia du changement, et pour « apporter la lumière de Dieu aux gens qui souffrent de cécité » (10b:19). Une telle personne est apparue au XIIe siècle de l'Hégire (XVIIIe siècle de l'ère commune), c'était al-Cheikh al-Islam, al-Imam le rénovateur (Al-Mujaddid) Muhammad ibn Abd al-Wahhab, et il est apparu en Arabie quand il a été trempé d'ignorance et pratiquait des types polythéistes plus ou moins importants (shirk) ».
Mais qu'est-ce qu'a enseigné Mohammad ibn Abdul-e-Wahhab et qu'est-ce qui est enseigné à nos enfants d'aujourd'hui à travers le monde islamique et en effet, même en Occident ? Une des leçons les plus importantes de ces manuels est exprimée à travers le concept d'Al-Walaa 'Wa Al-Bara (qui signifie essentiellement montrer de la loyauté envers les musulmans wahhabites et avoir de l'hostilité envers tout le reste du monde).
Permettez-moi de citer à nouveau dans ce chapitre d'« Enseigner l'Islam » : « L'hostilité envers l'étranger exprimée dans Al-Walaa 'Wa Al-Bara a une histoire, et les bénéficiaires de l'hostilité wahhabite changent au fil du temps. Par exemple, David Commins (2002) montre que l'obligation de l'hostilité a été utilisée pour rallier les foules contre les Turcs Ottomans dans les années 1880. Dans les manuels scolaires contemporains du Tawhid saoudien, les objets d'inimitié vont des juifs, aux musulmans non wahhabites en passant par la civilisation occidentale en général. Dans le manuel du 8ème niveau, le texte du Tawhid par exemple est utilisé pour présenter le concept comme une preuve d'amour et d'amitié aux musulmans bien-pensants et d'hostilité envers (ou la rupture des relations avec) ceux qui sont en désaccord avec la foi correcte. Le manuel du 10ème niveau utilise le chapitre du Tawhid sur « comment montrer de la loyauté et de l'inimitié vis-à-vis des étrangers, délimitant les pensées et actions qui séparent les croyants de leurs ennemis ».
« Le manuel utilisé en 2002 explique que toute personne qui est de pensée ou d'action non-conformiste parmi les musulmans non seulement doit être corrigée, mais aussi méprisée. Les non-musulmans ne doivent pas être tolérés ou devenir amis avec vous, ils ne peuvent pas non plus être simplement ignorés. Ils doivent être haïs. « Selon une loi du Tawhid, on doit faire preuve de loyauté envers les musulmans Unitarian (Muwahhid, wahhabite) et être hostile envers les polythéistes (soufis, non-musulmans) ennemis », dit le texte.
Seul Dieu est votre Wali et Son Messager et ceux qui croient, prient et s'acquittent de la Zakat, s'inclinent. Et quiconque prend Dieu et Son Messager et les croyants, pour un gardien, il est certain qu'il sera le parti de Dieu et devra triompher ». (Coran 5:55-56)
« Tu n'en trouveras pas, parmi les gens qui croient en Allah et au Jour dernier, qui prennent pour amis ceux qui s'opposent à Allah et à Son Messager, fussent-ils leurs pères, leurs fils, leurs frères ou les gens de leur tribu ». (Coran 58:22).
« Des preuves de textes supplémentaires (preuves venant de verset coranique ou hadith pour prouver le point) se réfèrent à des événements spécifiques pendant les guerres de la Mecque mais sont présentées sans contexte historique pour montrer que la dissociation entre musulmans et non-musulmans est une condition universelle et éternelle prévue par Dieu (10b: 109-110). «La place de Al-Walaa Wa` Al-Bara' est importante dans l'Islam », dit la leçon, « comme le Prophète a dit :« Le point le plus fort de la croyance est d'aimer ce que Dieu aime et de haïr ce que Dieu hait », et avec ces deux éléments, on gagne la loyauté [Wilaayya] de Dieu » (10b:110). La leçon élève l'inimitié pour l'amour de Dieu au-dessus des piliers de l'Islam : « [L]e Prophète a dit : « Celui qui aime pour l'amour de Dieu et déteste pour l'amour de Dieu et montre fidélité pour l'amour de Dieu et hostilité pour l'amour de Dieu, atteindra ainsi la fidélité de Dieu, et à moins qu'il ne fasse cela, aucun adorateur ne trouvera jamais le goût de la foi même s'il est excessif dans la prière ou le jeûne »l. (10b: 110)
« Qui sont les ennemis polythéistes contre lesquels le musulman monothéiste doit montrer de l'hostilité ? Pour MIAW (Abdul Wahhab), les ennemis polythéistes étaient d'autres musulmans, en particulier les Turcs Ottomans, les Shi `a, les soufis, et toute personne qui portait des amulettes ou pratiquait la magie. Le manuel scolaire précise de nouvelles façons de devenir un ennemi, expliquant pourquoi les musulmans doivent être attentifs à montrer de l'hostilité envers le délinquant. L'élève doit reconnaître l'hypocrisie (al-Mudaahana) quand il la distingue. Si une personne socialise avec des déviants moraux mais se croit à l'abri de leur «déviance, elle s'avère hypocrite, et en ne rompant pas les relations avec eux et en ne leur montrant pas de la haine, elle fait preuve de déloyauté envers Dieu (10b:111). Le texte est l'histoire d'Abraham, qui s'est détaché de ceux qui n'ont pas cru en un Dieu unique, mais ont adoré des idoles ». (11)
« Dans les textes du Fiqh et des Hadith, imiter les Kuffar (les non-croyants) est présenté comme moralement corrupteur. Les femmes qui s'habillent comme des étrangers, par exemple, invitent la tentation et la corruption, de sorte que le tissu de la robe de femmes musulmanes doit être suffisamment épais pour ne pas montrer toute la peau et suffisamment large pour dissimuler les contours du corps et le visage doit être couvert pour protéger la personnalité. Imiter les mécréants est une insulte à Dieu parce que les musulmans sont censés aimer ce que Dieu aime et détester ce que Dieu déteste. Si un musulman se joint aux mécréants pour des célébrations de vacances ou partage avec eux leurs joies et leurs peines, il leur montre fidélité (10b:118). De dire Id Moubarak (heureuses vacances) aux Kuffar est aussi mauvais que l'adoration de la croix, c'est un péché pire envers Dieu que de proposer un toast avec de la liqueur, c'est pire que de se suicider et pire que d'avoir des relations sexuelles interdites (Artikab Al-Farj Al-Haram), et beaucoup de gens le font sans se rendre compte de ce qu'ils ont fait (10b:118).
« Imiter les mécréants en utilisant la désignation calendaire « JC » au lieu de l'année Hégire est un autre problème, car JC évoque la date de la naissance de Jésus Christ et montre une affinité avec les infidèles. Au moment de Noël, les musulmans ne doivent pas s'habiller comme les mécréants ou échanger des cadeaux ou assister à une fête ou afficher des ornements. Les vacances des Kuffar devraient être comme n'importe quel autre jour pour les musulmans. Comme l'a dit Ibn Taymiyya, « être en accord avec les Ahl al-Kitab (Gens du Livre) sur des choses qui ne sont pas dans notre religion et qui ne sont pas dans les coutumes de nos ancêtres, c'est de la corruption. En évitant ces choses, vous cessez de les soutenir ». Certains disent même que, la leçon avertit que si vous effectuez un abattage rituel durant leur journée, c'est comme si vous avez massacré un cochon ».
« Les manuels évoquent le passé comme un avertissement pour le présent. Une section du chapitre intitulé « Jugement pour Utiliser les Kuffar en Matière d'Emploi et de Lutte et Autres Choses Similaires » cite Ibn Taymiyya comme disant : « les gens bien informées savent que des personnes protégées parmi les juifs et les chrétiens (ahl dhimma min Yahood wa nasârâ) ont écrit à des gens de leur propre religion pour donner des informations secrètes sur les musulmans » (10b:119). Le principe est de ne pas coopérer ou de ne pas faire confiance aux mécréants :
« O les croyants, ne prenez pas de confidents en dehors de vous-mêmes : ils ne failliront pas à vous bouleverser. Ils souhaiteraient que vous soyez en difficulté. La haine certes s'est manifestée dans leurs bouches, mais ce que leurs poitrines cachent est encore plus énorme. Voilà que Nous vous exposons les signes. Si vous pouviez raisonner! » (Coran 3:118)
« Il ne faut pas employer les incroyants si un musulman peut faire le travail, et s'il n'est pas nécessaire, il ne faut jamais les embaucher car on ne peut jamais faire confiance aux mécréants (10b:121). Un musulman ne doit pas accepter un emploi venant d'un incroyant, un musulman ne devrait jamais se retrouver dans une position de soumission vis-à-vis des mécréants, qui lui manqueraient certainement de respect. Il ne devrait pas être mis dans une position lui enjoignant de refuser sa religion ».
« Un musulman ne doit pas vivre en permanence au milieu des mécréants parce que sa foi serait compromise et c'est pourquoi Dieu a exigé que les musulmans migrent d'un pays d'incrédulité (Bilad al-Kufr) vers une terre de croyance (Bilad Al-Islam). Quant à ceux qui préfèrent travailler pour les mécréants et vivre parmi eux, c'est la même chose que de leur témoigner fidélité et d'être d'accord avec eux ». C'est l'apostasie de l'Islam. Et si on y était par cupidité ou pour des raisons de confort, fût-il dans la haine de leur religion et dans le but de protéger la sienne, ceci n'est pas permis. Méfiez-vous de la pire punition ». (10b:121)
Le chapitre met en garde contre la musique, le rire et le chant, l'interdiction qui, en vertu des commentateurs Al Sa`ud du XIXe siècle, a conduit à assimiler les wahhabites aux calvinistes. Les interdictions de comportements joyeux, selon le texte, sont destinées à encourager les musulmans à investir tout leur être dans les pensées de Dieu et ne pas dépenser de l'énergie à des activités frivoles. Cependant, l'importance de ces interdictions couvre les préoccupations contemporaines vis-à-vis du nouvel ennemi, de l'invasion culturelle de l'Occident. La « pire façon d'imiter les mécréants » est devenue tellement préoccupante par les choses sans importance promues par les mécréants dans leurs propres sociétés que les musulmans en négligent le souvenir de Dieu et de faire de bonnes œuvres, comme Dieu dit : « Ô vous qui croyez! Que ni vos biens ou vos enfants, vous détournent du rappel de Dieu». (Coran 63:9; 10b:124). La leçon explique que les mécréants attribuent de la valeur à des choses sans importance, car leur foi religieuse absente, leurs vies sont vides.
« Quelles sont ces choses sans importance ? Tout d'abord, il y a les arts de la scène, comme le chant et les instruments de jeu, la danse, le théâtre et le cinéma, qui sont visités par des gens qui sont écartées de la vérité. Ensuite, il y a les beaux-arts (Al-Funun Al-Jamila), tels que la peinture, le dessin et la sculpture (malgré l'interdiction sur l'art, certaines écoles du royaume proposent des cours d'art). Ensuite, il y a le sport, qui est parfois plus important pour les jeunes que de se rappeler de Dieu et lui obéir; le sport entraîne les jeunes à manquer la prière et ignorer l'école et les obligations familiales. Que ces comportements soient autorisés ou pas, la nation musulmane aujourd'hui devrait économiser son énergie pour faire face aux défis de ses ennemis : « Les musulmans n'ont pas de temps à perdre avec les activités insignifiantes ». (10b:124-125)
« Interdire les célébrations d'anniversaires, en particulier de l'anniversaire du Prophète, et les interdictions de performer les arts du spectacle font partie du tissu moderne et de l'héritage historique de la culture wahhabite. « Son hostilité à toute pratique humaine qui pourrait exciter l'imagination ou renforcer la créativité », dit (Dr Khaled Abou) El Fadl (2003), est « peut-être la caractéristique la plus abrutissante, et même mortelle du wahhabisme ». Tout ce qui suggère une étape vers la créativité», dit-il, « constitue une étape vers Kufr [infidélité] ».